Univion
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«Faire face à l'infinité.»
 
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 La Théorie de l'Univion

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MessageSujet: La Théorie de l'Univion   La Théorie de l'Univion EmptyLun 28 Jan - 22:41


Illian





« Je ne me souviens plus de mon nom. Pour les besoins de mes archives, la Sorcière est venue l’écrire elle-même sur mon manuscrit. Mais les mots se sont effacés de mon esprit. »


Dernières pages des Chroniques du Monde d’Illan, jour de la Destruction.

1

Lorsque je me réveille ce matin, je suis plutôt de mauvaise humeur. J’ai les membres engourdis et l’esprit embrumé. Avec difficulté, je me lève, tout en revisitant mes souvenirs de la veille. Grande fête. Bien organisée, il faut l’admettre. Je sens de la chaleur dans mon dos, accompagnée d’une respiration calme. Sans doute une fille. J’entends déjà leurs murmures. Fils indigne. Gaspilleur. Libertin… Haussement d’épaules de ma part. J’ai l’habitude. Je connais leur refrain par cœur. Et, après tout, je l’ai cherché. Que tout le monde pense que je me moque des affaires de ce pays ! Cela me permet de rester en vie. D’agir dans l’ombre pour préserver le doux quotidien de certains. Aveugles, ils ne voient que ce qu’ils souhaitent, ils me croient faible. Ils oublient de regarder là où il faut. De voir mes heures de pratique au sabre, l’apprentissage de mon corps, de sa force et de ses capacités. Ils oublient mes heures d’études sur l’histoire de notre Monde, nos coutumes et notre mode de vie. Mais peu importe, maintenant que tout va se terminer.
Je l’ai dit, je suis plutôt de mauvaise humeur. Etonnant que je le remarque, car cela fait presque un mois que je me lève, furibond, dans cet état désagréable. Comme tous mes compatriotes. Badauds, femmes, enfants, citadins et villageois. Filles de joie et hommes de bon aloi. Princes et Rois. Personne n’échappe à cela.
Je m’approche du balcon. Sur mes épaules, une fine tunique, que je ne prends pas la peine de fermer. La lumière du Soleil, trop glaciale pour m’apporter le moindre réconfort, caresse la peau blanche de ma poitrine.
Je plonge mon regard dans l’horizon. Le spectacle m’assaille. A la fois coutumier et insolite. Saisissant par son improbabilité et terrifiant par sa signification incroyable. Incroyable, c'est-à-dire, à laquelle on ne veut pas croire. Au loin, le ciel, carmin éclatant, se reflète sur la mer, en teintes variées d’ocre et de mauve. Il n’y a plus de vent depuis longtemps. Ni de vague. Juste un immense miroir d’eau qui s’étend à l’infini…
Dans la grande artère qui divise la ville en deux et mène du port au palais, quelques silhouettes, étourdies par la brume matinale, se pressent vers le port, à la recherche d’un abri. Un chien renifle des ordures abandonnées à même le sol. Les rues, froides, sont vides. Désertées. Elles qui grouillaient de joie et chatoyaient des couleurs de la vie, qui embaumaient les passants de senteurs exotiques, arrivées des bateaux, des récits des marins…. Les rues dorment aujourd’hui. Non. Elles ne dorment pas. Elles sont mortes. Les gens se sont échappés, poussés par la peur. Fuite nécessaire, besoin vital. Les bateaux qui dansaient dans le port ont disparu. Les cales chargées d’habitants, ils sont partis à l’horizon. A l’infini de la mer. Mais le Temps les rattrapera. Il y a toujours une fin.
Tout cela est inutile.
On ne peut éviter l’inévitable. On ne peut s’évader d’un Monde qui meurt, qui se craquèle doucement. Il faut rester, observer les couleurs se faire violentes, les éléments entrer dans des orages tourmentés et la terre rugir et se broyer. Lorsque la Fin est là, il faut la regarder. L’admirer. Le cœur frappant les côtes, si vite qu’on se demande s’il va tenir.
Attendre.
Accepter la fatalité.
Aujourd’hui, les couleurs sont celles du calme avant la tempête. J’oblige mes yeux à admirer cette terrible vision. Sublime et oppressante vision, d’un Monde qui meurt.

2

En me rendant vers la salle du Conseil, j’en viens à me demander pourquoi. Pourquoi maintenant ? Qu’avons-nous fait pour recevoir cette malédiction ? Faut-il accepter de mourir ou refuser de vivre ? Même aujourd’hui, je n’ai pas de réponses à ces questions. Pourtant j’ai eu le temps de chercher… Je sais qu’aucun de mes « contemporains » n’aura l’occasion de lire ces mémoires, mais je tiens à le préciser malgré tout : j’ai utilisé tous les moyens en ma possession pour chercher une solution. Pour trouver une autre voie, un chemin tranquille qui éviterait l’ouragan. Mais il n’y en avait pas. Ou il est resté caché de moi. Vous ne le saviez pas, trop occupés à critiquer la façade que je vous offrais, trop convaincus par le rôle que je vous jouais.
Au détour d’un couloir, des murmures attirent mon attention. Pour écouter, j’arrête de marcher. Retiens ma respiration. Des murmures, oui ! Furieux… Deux personnes se disputent. Peut-être trois. Et le ton monte. Je m’approche jusqu’à l’angle, collé au mur, afin de pouvoir écouter.
– On ne peut pas les utiliser sans qu’on nous le demande !
Voix grave, rocailleuse.
– Mais plus personne ne nous le demandera !
Voix de femme. Légère. Une pointe d’incompréhension. Sentiment d’injustice. Elle reprend :
– Nous devons les rendre au Roi et à ses fils ! Ils ont le pouvoir de sauver la ville !
– Certainement pas. Elles ont été confisquées à la famille royale, il y a des siècles, par nos ancêtres. C’était pour une bonne raison. Rien ne doit faire vaciller notre foi, nous les garderons sous notre protection.
– De quoi les protéger lorsque nous serons morts ? Aujourd’hui, la situation l’impose, c’est notre seule chance ! Nous aurons juste le temps d’échapper à …
– Je ne changerais pas d’avis. Et cela prendrait trop de temps de leur enseigner les Mots.
– La famille royale n’a pas besoin des mots. Elles leur obéissent !
– Cela fait trop longtemps. Elles ont perdu la Trace de la famille X’ande Olvander.
Silence tendu. Mon cœur bat la chamade. J’essaie de démêler leur propos.
– C’est faux ! Je ne veux pas y croire ! s’exclama finalement la femme.
Bruit de bousculade. Je sens l’énergie d’une puissante magie à l’œuvre. Le couloir se colore d’étranges teintes émeraude et grenat. Cette fois-ci plus de murmures, mais des cris, qui résonnent dans les couloirs. Cependant je n’écoute plus. Mon attention a été attirée ailleurs.
J’aurais peut-être dû attendre. Prendre le temps de réfléchir à ce que j’allais faire. A ce que je venais d’entendre…
J’aurais peut-être dû.
Cependant, en transe, mû par une volonté étrange, je me baisse, et je ramasse cette étrange pierre. Cette pierre que je suis le seul à avoir entendu tomber, et rouler sur le sol dallé du palais. Tout à leur dispute, les belligérants n’ont conscience de rien. Elle le voulait ainsi. C’est à moi qu’elle s’adresse. Le son a résonné comme une évidence. Intime et secret. Je le connais. Il éveille en moi des images extraordinaires. Une mémoire profonde et ancienne m’envahit, mon sang bouillonne. C’est comme se réveiller d’une longue transe. L’impression d’une conscience aigüe. Le monde qui m’entoure se met à vrombir, à se tordre. Les couleurs s’étalent et explosent, se mettent à luire. Dans mon esprit, une litanie se fait entendre. D’abord douce et réconfortante, puis de plus en plus puissante, faisant vibrer tout mon être. On aurait dit une prière. Impossible toutefois d’en distinguer les Mots. Même lorsque la mélopée devient assourdissante et me vrille les tympans, il n’y a qu’un amas délicieux de sonorités variées.
Et soudain, le silence.
Je relève la tête, arrachant mon regard de cette petite pierre. Devant moi, les trois inconnus, les yeux affolés. Ils me regardent, la bouche entrouverte. Abasourdis. Sauf la femme. Et avant de les voir disparaître, je grave ma mémoire de ses yeux d’une savoureuse couleur de miel, et son sourire intriguant.

3

Lorsque cette pierre est arrivée en ma possession, j’ai d’abord décidé que c’était un coup du sort. Mais à présent, sans parler de Destinée, je suis persuadé que cette rencontre était nécessaire. Je ne pense pas qu’il y ait de Hasard dans l’Univion. C’est une presque-certitude que j’ai acquise au cours de mes voyages.
L’Univion. Une amie proche l’appellerait Pansympan, soit « Tous les Univers» dans sa langue, bien que ce ne soit pas la traduction exacte du concept. Il faudrait au moins une dizaine de tomes d’encyclopédie pour décrire sa complexité, sa sagesse et ses mystères. Evidemment, cela ne suffirait pas. On a déjà du mal à expliquer la grandeur de son propre Monde, et lorsqu’on y arrive, de son propre Univers. Expliquer l’Univion est une tâche éternelle. Et mon éternité est déjà consacrée à une autre mission. Mais pour simplifier, voici une petite métaphore qui devrait aider à visualiser l’idée.
Nous vivons tous dans un Univers. Certains sont finis, d’autres non. Un Univers, c’est le tronc d’un arbre. De chaque tronc partent des branches. Ce sont les Mondes. Les Mondes qui dépendent d’un Univers sont innombrables, ou parfois très limités. Comme il existe des grosses branches ou des brindilles, il existe différents types de Mondes. Futurs potentiels, perdus : Mondes Divergents. Mondes créés dans le même Temps, dans le même Univers : Mondes Parallèles. Mondes émergeants des Rêves, des Envies et de l’Imagination de créatures pensantes : Mondes Dreamals. Ces mondes là s’approcheraient plus des feuilles de l’arbre, de ses fruits et de ses fleurs. Ils sont aussi variés et nombreux que possible.
Grâce au tronc de l’arbre, tous les Mondes sont reliés entre eux. Il existe donc des moyens de se rendre de l’un à l’autre. Tout en prenant garde aux conséquences de tels voyages.
Et l’Univion. Imaginez une immense forêt, sans horizon, sans limite. L’Univion, l’ensemble des Univers. Il se contracte et se dilate cycliquement, comme l’avaient prouvé quelques scientifiques de la Terre lorsqu’ils parlaient de leur Univers. Ces contractions-dilatations peuvent s’assimiler à la respiration. C’est ce mouvement qui crée les vents du changement. Lorsque les parois de l’Univion se rétractent, les arbres se pressent les uns aux autres, s’attachent, se fusionnent ou explosent sous la pression. Et ainsi les Univers sont en perpétuelle évolution, ainsi que leurs Mondes. Lorsque l’Univion est tellement contracté qu’il ne reste qu’une masse informe de matière compacte, il détend ses parois. La matière danse les couleurs et chante le Monde. Les arbres repoussent. Et ainsi va le cycle de nos vies à tous. Grâce aux racines de la forêt, des passages entre chaque Univers existent. Cependant peu de voyageurs les parcourent. Ce sont de longs trajets. Dangereux. Et surtout, rares sont ceux qui ressentent l'Univion. En général, l'esprit rationnel conçoit l'Univers, tout en sachant inconsciemment qu'une entité plus vaste le transcende.
Vous aimeriez savoir ce qu’il y a après l’Univion ? La suite de cette chronique ne répondra peut-être pas à cette question. Et d’ailleurs, je pense que c’est à vous de le décider. Car après tout, pourquoi ne pas imaginer infiniment une enveloppe qui prendrait plusieurs Univions, puis une autre qui contiendrait toutes ses enveloppes supérieures, et ainsi de suite ?

4

Les objets, les lieux et mes trois spectateurs disparaissent. Le Monde qui m’entoure s’effiloche. Je sombre dans un tourbillon de couleurs aveugles. Je suis assailli par tellement de sensations que je n’en comprends aucune. Perdu, je me sens tourner, balloté par des vents inconnus. Je suis tant accaparé, éparpillé par ce que mon corps capte comme informations, que je perds toute notion d’espace ou de temps. Quelques instants peut-être ou des années entières. Encore aujourd’hui il m’est impossible de savoir combien de temps a duré ce moment. Le seul point fixe. Le seul point certain de cet instant, est la pierre. Froide et lisse, je la tiens fermement dans la paume de ma main droite. Elle chante toujours. Et même si je ne les comprends pas, ses Mots font résonner en moi de surprenantes émotions. Je la vois. Presque ovale, mais à la courbe irrégulière. Elle est d’un mauve profond, pigmentée de zinzolin. Par endroits, quelques failles créent de fines nervures blanches. En la contemplant longuement, l’impression me vient que ces couleurs sont mouvantes. Dans la pierre semble vivre une galaxie, riche de nébuleuses et d’étoiles, figée à jamais dans le silicium vitreux.
Hypnotisé par la beauté condensée de la pierre, mon esprit se perd. Il commence à se fondre dans l’univers de nuances colorées qui m’entourent. Lorsque soudain, le chant qui résonne dans mon esprit s’estompe, remplacé par un autre, plus calme. Plus grand. Plus ancien. Les Mots m’assaillent le cœur et transpercent mon âme. D’une netteté impitoyable, j’en distingue toutes les significations et les possibilités. Leur profondeur incroyable me fait soudain comprendre leur force. Et plus tard, en y repensant, je comprendrais alors à quel point nous les utilisons facilement, futilement, sans les soigner, sans les comprendre.
Il y a quelque chose dans cette berceuse tranquille qui me délasse. Je me sens comme lavé. J’oublie mon Monde agonisant, ma peur de ce néant coloré, ma crainte du futur et de la mort. J’entrevois alors les Univers au milieu de ce flot de couleurs, qui s’entrechoquent et dansent ensemble, traçant la vie dans leur sillon. Je sens mon corps happé en arrière. De plus en plus d’Univers joutent sous mes yeux, jusqu’à ce qu’un voile de glace m’entoure, qu’une brume blanche m’attrape et me fasse à nouveau perdre toute notion d’espace.
Alors, j’aperçois l’Univion. Sur le moment évidemment, je ne comprends rien. Mon cœur bat la chamade devant ces merveilleuses visions, mais aussi devant leur terrible grandeur. Car si mon esprit refuse de comprendre, mon corps lui sait très bien où il se trouve et entend son insignifiance face à l’immensité à laquelle il est confronté.
Peu à peu, la brume que j’ai traversée s’épaissit et prend forme. Elle est l’enveloppe de l’Univion. Devant moi, se sculpte un visage, long et fin, aux pommettes saillantes. De longs sourcils, arqués, partant des tempes, dessinent un nez fin et aquilin, modelant ainsi le visage avec une délicatesse étonnante. Sur le front, une fine couronne évanescente apparaît, sertie d'un joyau nacré. Une force brute transparaît de cette métamorphose astrale. Une force telle que j’en ai les larmes aux yeux. Enfin, sous chaque sourcil, une fente se dessine. Et lentement, très lentement, comme par peur d’être blessées par la lumière crue qui baigne ce qui nous entoure, les deux fentes s’ouvrent. Je baisse aussitôt les yeux. Comme un réflexe ancestral, mémoire enfouie. Je sais qu’il ne faut pas croiser ce regard.
– Pauvre perdu, que cherches-tu ?
La voix est transcendante. A la fois douce et lancinante. Elle éclate mon corps, pénètre dans ma chair, mon esprit, et imprègne chacune de mes cellules.
Une fois la surprise passée, je réfléchis à ma réponse. Sa voix sans ton ne paraît ni compatissante, ni en colère.
– Qui êtes-vous ?
Je ne peux pas le voir, mais je crois qu’un nuage de fumée s’étire en un sourire. Tout le monde doit poser cette question la première fois…
– J’ai énormément de noms, répond l’être. Je serais comme tu décideras de m’appeler.
– C’est votre voix qui m’a guidé jusqu’ici…
– J’ai entendu ta Pierre pleurer.
Je fronce les sourcils et, pour la première fois, desserre la main qui tient le petit caillou violacé, apparemment responsable de mon périple.
– Les Pierres sont très puissantes ! A utiliser avec grande attention…
La voix paraît sévère, et triste en même temps.
– Nombreux sont les voyageurs qui se perdent à cause d’elles.
– Vous les recueillez tous ?
Un tressautement dans la brume me fait reculer. Je prends ça pour un rire moqueur, effrayant au possible.
– Toi, j’ai entendu ta Pierre appeler. Les autres…
Soudain, je comprends. Son ton est désintéressé. Les autres, et moi. Si petits pour elle. Nous n’existons pas à son échelle. Instinctivement, je murmure quelques mots à ma Pierre pour la remercier.
– Pauvre perdu, que cherches-tu ?
Il me faut longtemps pour comprendre comment fonctionne son esprit et réussir à obtenir des réponses correctes. Je décide de l’appeler la Sorcière. Parce que son visage me séduit et m’effraie, qu’une puissance immense entoure son être, et que j’apprends qu’elle a tout pouvoir de création. En vérité, c’est elle l’Univion, mais cela je n’en ai pas encore conscience. Cette brume mystérieuse qui sert d’enveloppe aux Univers pense par elle-même, vit, évolue dans son propre espace-temps. Et pour s’adresser aux voyageurs, elle sait prendre la forme qu’elle souhaite, celle qui fera suffisamment d’effet pour impressionner, mais sera assez acceptable pour pouvoir discuter. Finalement, elle me révèle l’enchevêtrement des Mondes. Je lui dis que je veux rentrer sur le mien.
– Même s’il meurt ?
Mon cœur se serre, mais je tiens bon. J’acquiesce.
– Je ne peux te renvoyer chez toi. Ta Pierre le fera.
– Mais comment lui parler ?
– Tu dois l’écouter d’abord. Comprends ses mots et tu sauras la guider.
– Comment apprendre ?
La brume frémit. Comme irritée. Je dois user de sa patience. Brusquement, la tête se détache du reste. Un corps, fin et élancé, étiré, la suit. Elle s’approche de moi, d’une rapidité sidérante, et je sens ses mains diaphanes attraper mes hanches. Je suis aussi fragile qu’une brindille entre ses doigts. Elle me fixe. Je sens son regard de braise qui m’étudie. Puis un contact. Un frôlement. Une simple brise, fraîche, suivit d’une brûlure terrible sur mon front. J’ai l’impression de tomber dans l’inconscience. Lorsque j’ouvre les yeux, le visage a repris sa place sur l’enveloppe de brume, je flotte devant lui. Je me demande si j’ai rêvé.
– Je t’ai donné une Chance, dit la Sorcière. Une Chance de rentrer chez toi.
– Qu’est-ce que ça signifie ?
– Que tu rentreras chez toi.
– Mais quand ?
Mouvement de brume, tel un haussement d’épaules. Je comprends que pour elle une durée ne signifie rien. Je comprends que je vais passer beaucoup de mon temps vital, car lui existe réellement, à chercher mon Monde.
– Pars maintenant !


5

S’il y a bien une chose dont j’étais persuadé avant que mon monde ne commence à mourir, c’est que l’Eternel existait. Je croyais certaines choses immortelles, immuables, et d’autres acquises par nature.
Le premier monde sur lequel la Pierre m’amène est un Monde dévasté. Désert de sable gris et ciel sans Lune règnent en permanence. Je crois qu’elle veut me faire passer un message, parce qu’elle sait que je n’entends rien à son chant. De Monde en Monde, je découvre des créatures de plus en plus étranges, des paysages inimaginables, défiant tout bon sens. Cela, je le raconterai dans un prochain manuscrit.
Peu à peu, sans cesser de m’émerveiller à chaque nouvelle destination, j’apprends à vivre en Marcheur. Marcheur : voyageur de Mondes. J’apprends à me procurer de quoi vivre, à défendre ma vie, à prendre soin de mes propres affaires, tout ce que je n’avais jamais vraiment eu à faire grâce aux serviteurs du palais. J’apprends à compter mon temps aussi. En effet, sur chaque Monde et pendant les voyages, le Temps s’écoule différemment. Je décide donc d’en adopter ma propre mesure. Je m’imagine d’abord comptant mes cheveux blancs au fil des années. Puis je trouve une solution plus pragmatique. Mon temps s’égraine selon mes cycles de sommeil. Autrement dit, chaque fois que je dors, c’est qu’un jour a passé pour moi.
Au fil de mes voyages, je fais des rencontres. Apprends à chercher des ennuis. Découvre des cultures plus hétéroclites les unes que les autres. Me lie d’amitié. Trouve les ennuis que je cherchais. Pars dans un autre Monde.
Je commence à comprendre la Pierre, a ressentir ses émotions, appellation communément admise qui ne décrit pas le moins du monde les impressions qu’elle me transmet. Hélas, aucun autre mot ne me vient à l’esprit. J’apprends à la connaître. Et elle, m’apprend. Elle se renseigne sur moi, ma façon de percevoir ce qui nous entoure, de vivre les Mondes. Cela nous rapproche. Et puis au bout de trois ans de mon temps, je fais une rencontre étonnante.
Un homme, vivant seul sur sa petite planète, qui passe son temps à gratter des parchemins de sa fine plume tachée d’encre. Je m’approche pour lui parler, mais je l’entends soudain marmonner : « Je n’écris que des choses éternelles ! Qu’on ne me parle pas de fleurs ! Que des choses éternelles !». Un obscur chagrin m’envahit brusquement et je me retrouve à flotter dans cet absolu coloré que je commence à bien connaître. La Pierre a senti ma peine. Mais c’est trop tard.
Dans mon esprit, des images d’une violence inouïe s’enchaînent.
J’ai envie de hurler. De pleurer. Une barrière se rompt en moi. Les souvenirs de mon Monde m’assaillent. Je me révolte. Eternel ? Rien n’est éternel ! Mon Monde doit être mort à présent ! Cette fille qui partageait mon lit aussi. Il ne reste que des cendres. La mer s’est évaporée. Le Temps ne s’écoule plus. Il y règne une nuit sans profondeur et rien ni personne ne se rappellera jamais de cela, de nos vies futiles, invisibles à travers les brumes de l’Univion.
Eternel.
Rien n’est Eternel. Les Dieux sont oubliés lorsque leurs ouailles meurent. Les montagnes se déchirent et s’effondrent forcément un jour. J’ai envie d’écrire tout cela, comme pour combattre l’idée saugrenue de cet homme. Je veux que l’on sache. Je veux partager les souvenirs de mon Monde. Lui donner un peu plus d’éternité. Mais à quoi bon écrire ? Les mots sur le sable sont effacés par le vent. Les mots sur le papier sont décimés dans la colère des brasiers. Les mots gravés dans les Mondes disparaissent dans le flot des Temps, patinés.
La Pierre est triste. Son pouvoir m’enveloppe, vaine tentative de réconfort. Sa voix murmure dans mon esprit, prépare une nouvelle destination. Mais je la bloque. Je lui demande de se taire.
Pour la première fois, j’entends le silence des Univers. Comme les abysses d’une mer infinie. Et je m’en délecte.
Puis je prends ma décision.

6

– Alors tu es revenu…
Elle savait donc que je me présenterais à nouveau devant elle. Le plus étrange, c’est que je ne suis pas surpris.
– Je voudrais faire un vœu.
Les volutes de brume s’agitent. Je crois que la Sorcière s’amuse de me voir ainsi me débattre contre la fatalité.
– Je n’exauce pas les vœux.
– J’ai quelque chose à offrir en échange.
Le visage s’approche de moi, laisse entrevoir le maigre corps étiré, presque nu, de la Sorcière. Mon cœur martèle mes côtes. Le sang frappe mes tempes. Je m’apprête à faire l’impensable. Mais ma résolution est forte. Et je déteste faire demi-tour. Alors je lève la tête. Je plonge mon regard dans le sien.

7

Quatre ans plus tard. De mon temps.

Je suis sur un monde qui ressemble à mon paradis. Le Savoir y est vénéré comme un Dieu. Les villes sont des bibliothèques géantes et chaque habitant a comme quête de vie d’engranger le maximum de connaissances possibles.
Aujourd’hui, je sors de la Grande Bibliothèque. Le cœur léger. Je viens de rendre mon manuscrit d’étude. Sous mon bras, l’étui métallique de mon diplôme marque agréablement ma peau. En me dirigeant vers mon appartement, les souvenirs de ces quatre dernières années affluent en moi. Les rangées de livres, les autres aspirants, les soirées entre amis… J’ai décidé de ne pas les saluer avant de partir. Ni « Au revoir », ni « Adieu ». Vous comprendrez peut-être pourquoi.
Dans ma chambre, vide, mon sac m’attend. A côté, un petit coffret. Je fais l’inventaire de mes maigres possessions. Mes vieux habits. Un sabre, auquel je dois la vie. Et mon diplôme que je glisse dans ma tunique usée. Mon seul bagage est prêt. Je saisis le coffret. L’ouvre. La Pierre chante et scintille, ivre de me retrouver. Mon esprit s’agite. La main tremblante, je saisis ma vieille amie.
Le tourbillon de couleurs m’a manqué. Et alors que je m’apprête enfin à rentrer chez moi, je crois entendre un tendre rire perturber la mélodie de la Pierre. Je reconnais celui de la Sorcière.

8

J’aimerais ne pas avoir à décrire le sombre tableau qui s’offre à moi. Les joues striées de larmes, les poings resserrés sur la poussière cendreuse, j’observe. J’observe ce paysage dévasté, qui ressemble en tout point à celui de mes cauchemars. Malgré ma détermination, je reste là, amorphe.
Puis je me reprends. Je rassemble les matériaux que je peux trouver, mais je triche beaucoup avec la Magie de la Sorcière. Je construis une cabane. Peu à peu je l’aménage. Je sais, l’air est brûlant de poison et rien ne vit plus sur ce monde. Mais grâce à la Sorcière, cela importe peu pour moi à présent. Je crée des extensions. J’ai le temps. J’ai tout le Temps. Et pour une fois, je ne le compte pas. Les travaux manuels, la sueur, les ampoules et les courbatures. Les muscles endoloris qui travaillent. Tout cela m’empêche de sombrer dans la mélancolie. De penser que je suis seul. Que les autres ont disparu.
Finalement la cabane devient auberge. Peu à peu, je modèle les espaces intérieurs à ma guise. Chambres, bibliothèques, boudoirs, corridors et grande salle commune. Seul bâtiment solide aux alentours, c'est tout ce qu'il me reste de tangible. Mon paysage demeure désespérément stérile. Sans vie. Je concentre alors la Magie de la Sorcière autour de l’Auberge, puis je la laisse se disperser, courir le Monde. L’herbe grasse remplace les cendres. L’infini vide se transforme en mer turquoise. Dans le ciel, Lunes et Soleil reprennent leur course au milieu des étoiles. Je regarde avec tristesse l'illusion que je viens de créer. Elle s'estompe doucement à mes yeux. Je serais le seul à continuer de voir ce monde tel qu'il est.


9


Je ne me souviens plus de mon nom. Pour les besoins de mes archives, la Sorcière est venue l’écrire elle-même sur mon manuscrit. Mais les mots se sont effacés de mon esprit.
J'ai échangé mon identité contre l'Eternité.


Première chronique de l’Auberge des Mondes

1


Je baille en m’étirant, pas mécontent de mon travail. Avec un délice non contenu, je saisis le fil pour finir de relier le manuscrit à sa couverture, que j’ai moi-même confectionnée. Puis je me lève.
Je pose l’ouvrage juste achevé sur une grande étagère, vide. Mon histoire est la première à remplir cette salle de la Mémoire. D’autres viendront, que j'écrirais. Des récits de Marcheurs, qui prendront juste le temps de se reposer à l’Auberge avant de repartir courir les Mondes. J’entends un léger rire au loin. Je souris. Ma Sorcière a bien reçu le récit. Satisfait, je sors et ferme précautionneusement la porte. Alors que je regagne mon bureau, un grincement me fait sursauter. Je me précipite en haut des escaliers, pour voir entrer dans la salle commune une jeune femme, vêtue d’une cape de voyage. Une excitation sans nom s’empare de moi.
– Bonsoir !
Elle me regarde. Ses yeux d’ambroisie brûlent d’une flamme légère qui m’emporte. Son regard est plein de promesses et d’aventures. Et je compte bien l’entendre me les conter.




Tous droits de traduction, d’adaptation
Et de reproduction réservés pour tous pays.

© Editions Ouvrir un Monde, 2012

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La Théorie de l'Univion

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